De province
Je suis en province depuis quelques jours et ce nest pas, à Madagascar, la manière la plus simple dêtre connecté avec le monde. Pour une fois, je peux donc balayer dun geste de la main, voire même dun simple haussement de sourcils, les reproches de ceux qui parleraient de ma paresse.
Depuis mercredi, jai dailleurs lu une demi-douzaine de livres écrits par des auteurs africains, dont le plus impressionnant à mes yeux a été Verre Cassé, dAlain Mabanckou (Seuil, 205 pages, 17 euros). Pas seulement parce que jaime les bars et les histoires qui sy racontent. Mais aussi pour ça. Surtout, quand même, pour lardeur que met Verre Cassé puisque cest le nom du personnage principal à recueillir les vies qui passent par là, et dont la plupart possèdent des extensions à nen plus finir, pour la manière dont il les restitue, plus vraies que vraies. Au point quon se moque complètement de savoir si elles reposent sur un fond de vérité ou si elles sont complètement imaginaires, puisquon y croit et que cest lessentiel. Dailleurs, ceux qui les rapportent à Verre Cassé, transcripteur de destins abîmés, sont peut-être des mythomanes. Et alors ?
Bref, cest un superbe roman, dont il y aurait beaucoup à dire, et sur lequel je viens décrire un article trop court pour essayer den dire le maximum bien entendu, la place est toujours limitée dans les journaux et on fait ce quon peut.
Les autres ouvrages du même petit dossier africain à paraître vendredi dans Le Soir, pour mémoire, et parce quaucun de ces livres ne laisse indifférent, sont un essai très pertinent de Boniface Mongo-Mboussa, Lindocilité (Gallimard, coll. Continents noirs, 144 pages, 13 euros environ) ; trois romans parus chez le même éditeur et la même collection, Linvention du beau regard, de Patrice Nganang (208 pages, 15,50 euros), Lisahohé, de Théo Ananissoh (144 pages, 13 euros), et Ainsi va lhattéria, dArnold Sènou (176 pages, 14,50 euros) ; ainsi que Matins de couvre-feu, de Tanella Boni (Le Serpent à Plumes, 321 pages, 19,90 euros). Une belle brochette de textes.
Mais le livre dont jai surtout envie de vous parler aujourdhui, là, maintenant, tout de suite, est un essai de Majid Rahnema, Quand la misère chasse la pauvreté (Actes Sud, coll. Babel, n° 660, 479 pages), parce que je viens de le terminer et quil va à lencontre de quelques idées reçues. Il met à mal tous les grands principes qui président aux aides " généreusement " octroyées par, pour le dire rapidement, les pays du Nord vers les pays du Sud. Des pays riches vers les pays pauvres, pour le dire autrement.
Sinon que la notion de pauvreté est ici fortement relativisée, revue à la lumière de quelques penseurs et leaders charismatiques de temps révolus depuis que la mondialisation économique a imposé un seul credo au monde entier. Davantage de production pour lexportation signifie, selon les pontes de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International (les adjectifs, bien sûr, ne méritent pas de majuscules en bonne logique, mais celles-ci simposent dans ces cas précis, nest-ce pas ?), un accroissement du revenu du pays et, donc, une réduction de la pauvreté.
Sinon (encore) que cela ne fonctionne pas ainsi, jen ai la preuve sous les yeux tous les jours à Madagascar.
Et que, donc, il nest pas inutile de chercher dautres voies, quitte à être discuté. Si Majid Rahnema aide à ouvrir les yeux, il aura déjà accompli un énorme travail. Lisez, écoutez, comme dit Edwy Plenel en commençant ses émissions sur LCI. Cela fera au moins réfléchir et cest énorme.